Je vous retrouve à nouveau dans « Tour de blog » pour un article invité écrit par Nelly, 35 ans et récemment pacsée. Son conjoint a 2 enfants adorables. Elle a toujours aimé voyager, et a vraiment commencé la randonnée en 2019. Elle pense que toutes les femmes qui ont envie de voyager, même seules, ne devraient pas s’en sentir empêchées, c’est pourquoi elle a eu envie de partager l’une de ses expériences.
J’aime marcher. Et surtout, j’aime marcher seule. Seule avec mes pensées, avec mes ressources. Quel luxe inouï de prendre son temps, d’observer ce qui nous entoure, de partir à l’heure que l’on veut et de s’arrêter lorsqu’on le souhaite, sans se soucier du bien-être d’un quelconque autrui.
Mais j’aime aussi un minimum de confort et je suis une maniaque de l’organisation. Je ne pars pas à l’aveuglette. Aussi, après avoir parcouru un infime bout du chemin de Saint-Jacques de Compostelle en 2020 et avoir adoré cette expérience, je me suis lancée en 2021 dans l’organisation d’une randonnée dans le massif Vosgien. J’avais vu des photos de paysages grandioses dans un livre, ce qui m’avait convaincue que cette randonnée me plairait. Le livre précisait que les chemins étaient bien balisés, les mois de juillet et août un peu chauds, mais propices à la marche et les refuges nombreux. Allez, c’est parti !
J’achète donc une carte (ou plutôt trois) et je planifie mon périple. N’ayant que 7 jours, trajet compris, je regarde les possibilités d’itinéraire sur des sites internet. Je repère le Ballon d’Alsace, le Grand Ballon et une ribambelle de lacs. Contrairement à Saint-Jacques, il n’y a pas ici de GR tout tracé qui me permettrait de voir l’ensemble de ces sites. Je vais donc devoir jongler entre les losanges bleus, les rectangles jaunes et les ronds rouges (c’est ainsi que le club vosgien marque ses chemins de randonnée) pour me créer moi-même ma route. Mais ça ne me dérange pas, comme je l’ai dit, j’aime planifier. Je trouve que l’on voyage déjà un peu en étudiant son futur parcours (et je triche parfois – souvent à vrai dire – en faisant ça au bureau pendant que je suis censée travailler). Je repère les endroits où je peux dormir, surtout des refuges. Je ne veux pas trop dépenser non plus, je ne suis pas Crésus ! Je réserve un logement pour le premier soir, un pour le dernier soir (un bel hôtel pour me récompenser de mes efforts), mais lorsque je tente de réserver des places en refuges, on me répond gentiment qu’à cause de la pandémie de COVID, on ne sait pas s’ils seront ouverts. Les dortoirs communs ne sont en effet pas le meilleur endroit pour se protéger du virus. Je prévois donc la tente au cas où. Encore un article à ajouter dans mon sac à dos. La liste s’allonge et le poids s’alourdit. Heureusement, j’ai une tente ultralégère, mais je ne veux pas dépasser les 13kg, tout compris, car je veux profiter de ma randonnée, pas la subir. Je liste donc le strict nécessaire et m’y tiens.
Après tous ces préparatifs, je suis enfin sereine et me lance dans l’aventure. Je prends le train, puis le bus jusqu’à Saint-Maurice sur Moselle où je vais passer la nuit dans une maison d’hôtes. Le couple qui m’accueille est très gentil, la chambre immense et calme. Le seul point noir est le gentil monsieur, ancien général, qui tient absolument à me prêter son autobiographie pour que je la lise. Après tout, pourquoi pas ? Mais là tout de suite, non je n’ai pas vraiment envie. Bien élevée, je souris cependant et remercie, prends le livre et me force à survoler quelques lignes avant de m’endormir au cas où il m’interrogerait le lendemain matin. C’est le syndrome premier de la classe sans doute… Après une excellente nuit, et un petit-déjeuner gargantuesque, prévu pour deux, mais que j’ai mangé entièrement à moi seule, je pars pleine d’énergie (et de fromage) vers mon premier sentier.
Ma première étape doit me mener rapidement au Ballon d’Alsace. Le temps est humide, un peu brumeux, mais il ne pleut pas. L’ascension n’est pas trop difficile, j’ai les jambes fraîches et je suis enthousiaste. J’observe une jolie statue de Jeanne d’Arc juste avant le sommet, mais je suis un peu déçue du manque de visibilité dû au temps maussade. Je sais que ça fait partie du voyage et je l’accepte. Le simple plaisir de marcher dans la forêt me suffit pour l’instant. Je suis entourée de sapins et je n’ai croisé que 3 personnes. C’est exactement ce dont j’avais besoin en ce premier jour : solitude et silence. Quelques heures plus tard, une légère pluie commence à tomber et un orage à gronder au loin. Il commence à être tard, et moi à fatiguer. Je vois sur ma carte qu’il y a une cabane à proximité (pas de refuge en revanche). J’accélère un peu pour me mettre au sec le plus vite possible et arrive soulagée devant une jolie cabane en rondins, avec poêle intégré, et un mince filet d’eau coulant juste à côté. Parfait ! L’endroit est idyllique, et son nom charmant : abri « La mésange ».
Je m’installe à même le sol en bois et prépare mon couchage, puis je fais un brin de toilette avant de me préparer à dîner. Une fois repue, je sors mon livre de poche (poids superflu pour certains, mais indispensable pour moi, chacun ses besoins) pour me distraire. Car j’ai beau ne pas être craintive, je suis tout de même seule au milieu des bois, dans la montagne. Je commence à appréhender un peu, bien que mon cerveau me répète que je ne crains rien car qui pourrait bien venir me déranger, personne ne sachant que je suis là ? Je place quand même un banc devant la porte pour être sûre de ne pas me faire surprendre au milieu de la nuit et je m’allonge. J’essaie de trouver le sommeil, malgré la peur que des rongeurs viennent me trotter dessus, attirés par les poubelles, et mes sursauts incessants au moindre bruit suspect (pas de chance, des oiseaux – sans doute les fameuses mésanges – ont fait leur nid dans le conduit du poêle et ça résonne dès qu’ils bougent les ailes). La nuit est donc longue et peu reposante, mais elle finit par passer malgré tout.
L’aube du second jour pointe et je me lève, déjà beaucoup moins fraîche. Résolution : ce soir je dors bien à l’abri. Les premiers pas de la journée et un beau soleil matinal finissent de me réveiller et je fais une pause dans le petit village de Saint Amarin où je trouve une boulangerie/salon de thé qui propose de délicieuses viennoiseries. Les croissants fourrés me requinquent et c’est bon, je suis repartie de plus belle. Je profite des reflets de lumière entre les branches des hêtres, du chant des oiseaux et j’aperçois furtivement un écureuil qui file se cacher au sommet d’un arbre. Je me sens bien et sereine. J’arrive au Grand Ballon où il y a déjà plus de monde. J’en fais le tour, je profite de la vue et je grignote un sandwich. Il est tôt et j’en profite pour appeler un refuge situé à quelques kilomètres. Après 3 tentatives, je finis enfin par joindre quelqu’un et là, nouvelle désillusion. La dame qui me répond m’annonce qu’elle ne sait pas si le refuge sera ouvert ce soir et qu’il faut attendre 18h00. Il est 13h00… Que faire ? Je commence à me dire que cette randonnée est certes magnifique, mais compliquée niveau logistique. J’ai vraiment envie de dormir dans un lit et de prendre une douche (je transpire pas mal car il fait chaud aujourd’hui). Dans le doute, je préfère assurer le coup et pousser jusqu’à la station de ski du Markstein où je vois plusieurs hôtels et auberges. C’est plus loin que prévu pour aujourd’hui, mais je me sens capable de le faire. Je repars donc à un bon rythme. Plus je m’éloigne, moins je rencontre de marcheurs et je me retrouve de nouveau seule au milieu de la nature. Je profite de ce qui m’entoure, je me sens encore en forme. Vers 17h00, je ne suis plus très loin, mais là surprise, ça grimpe sec ! Et oui, j’avais négligé de regarder le dénivelé… Pourtant je sais qu’en montagne, c’est le dénivelé qui compte. Mais l’agacement que m’avait procuré la réponse de la dame du refuge m’avait fait oublier les bons réflexes. Pas le choix, j’avance. Le sac commence à peser très lourd sur mes épaules et je peine. J’arrive enfin à la station de ski où je m’autorise une crêpe et 2 bouteilles d’eau gazeuse avec du sirop de menthe. Un régal, car je suis un peu déshydratée à cause de l’effort physique. Je passe plusieurs coups de fil aux hôtels à proximité et tous sont complets. Je suis au bord des larmes car je ne veux pas dormir sous tente ce soir et j’ai de plus en plus besoin d’une douche et d’un repas revigorant. Conseillée par le serveur, j’appelle une auberge à environ 2 kilomètres. Le patron est d’abord réticent à ma demande car il a bien un dortoir libre, mais à cause de la COVID, il est obligé de bloquer le dortoir complet pour moi. J’insiste et nous tombons d’accord sur un tarif double. Je suis un peu aux abois donc j’accepte de payer davantage même si je trouve cela exagéré. Mais j’oublie vite ce désagrément après une longue douche brûlante et un repas réconfortant et copieux, où je dévore d’énormes morceaux de munster. Vu mon appétit, finalement le tarif n’est pas si élevé ! Je passe une nuit merveilleuse et je suis motivée comme jamais le lendemain matin.
Cette troisième journée m’emmène au milieu d’une réserve naturelle de toute beauté. J’ai l’impression de parcourir le sentier comme dans un rêve. Tout se passe bien aujourd’hui. Je pique-nique dans une clairière recouverte de fleurs sauvages. Une légère brise m’amène des odeurs de menthe, je suis heureuse. Et cerise sur le gâteau, j’ai réussi à réserver un lit dans un refuge. Les bénévoles qui s’en occupent font partie du club des Vosges Trotters. Le nom me fait sourire. Il y a une vraie communauté de passionnés ici. Que ce soit pour la randonnée, le vélo ou juste profiter de la nature, je trouve que les Vosgiens sont bien organisés. Je poursuis ma route et suis bien contente d’avoir un GPS car le balisage laisse parfois à désirer. J’arrive près d’un petit lac où des familles profitent des rayons de soleil de la fin de journée. Les enfants s’ébrouent dans l’eau et les adultes sont déjà à l’apéritif. Pour une fois, je suis contente de voir du monde. Je me sens moins ermite ce soir. Surtout que je n’ai pas de réseau et que je ne peux pas envoyer le message habituel pour prévenir ma famille que tout va bien. Je me doute qu’ils seront un peu inquiets, mais je les avais prévenus que cela pouvait arriver. Je prends mes quartiers dans un dortoir où nous ne serons que deux car nous sommes dimanche et la plupart des familles rentrent chez elles. Dans la cuisine commune, je prépare mon dîner en discutant avec les quelques personnes encore présentes. Le couple âgé qui tient le refuge connaît les lieux par cœur, mais aimerait bien recevoir un peu d’aide des autres bénévoles car l’entretien des lieux demande beaucoup d’efforts. On me demande d’économiser l’eau, ce que je fais bien volontiers car je comprends que l’acheminement des citernes ne se fait pas facilement. Ici pas de douche, mais tout de même un lavabo pour une toilette sommaire. C’est plus que je n’en demandais. Je dors comme une marmotte.
Le quatrième jour de marche commence sous les meilleurs auspices. Je dévore mon pain et la moitié d’une tablette de chocolat (petit plaisir indispensable selon moi) sur la terrasse ensoleillée. Puis, je fais mes adieux au couple avant de commencer mon ascension du Hohneck. Je n’ai toujours pas de réseau, donc mon GPS ne m’est d’aucune utilité. Mais je vois à peu près où je suis grâce à ma carte. Il paraît qu’il y a des chamois par ici, malheureusement je n’en vois aucun. Je suis pourtant partie tôt en espérant les surprendre. Arrivée au sommet, je peux enfin envoyer un message rassurant à ma famille et jouir du panorama. Je ne suis pas seule car des photographes amateurs sont venus eux-aussi tenter de surprendre les animaux. Je passe plusieurs autres sommets et contemple le lac Vert. Je finis ma journée assez tôt, mais après certaines étapes un peu éprouvantes, j’ai besoin de souffler. J’ai décidé de m’arrêter au Lac du Forlet, surnommé le lac des truites. Je comprends pourquoi en arrivant. Il y en a des centaines. Je m’assoie à l’ombre et les observe longuement. Je trouve cela apaisant et reposant. J’ai choisi de camper près du lac ce soir car je sais qu’il y a souvent du monde. Cela me rassure bizarrement. Je ne me suis pas trompée. Deux filles viennent installer leur tente près de la mienne. Je leur prête une pince à épiler car l’une des deux a une tique accrochée à la jambe. Je sais que la région en regorge, je me couvre donc de répulsif plusieurs fois par jour. Je commence à préparer mon dîner tranquillement lorsque j’entends des cloches se rapprocher. Je sais qu’il y a des troupeaux de vaches à proximité, mais je pensais être assez loin pour ne pas être embêtée. Pas de chance, les vaches viennent jusqu’à nous. Elles se montrent très curieuses et bousculent tout sur leur passage. Je commence à me demander si je ne vais pas déplacer ma tente à l’abri plus haut au cas où. L’une de ces demoiselles finit par laisser une énorme bouse à 50 centimètres de ma tente, ce qui me décide. Je transvase tout à quelques dizaines de mètres et je me blottis bien à l’abri dans mon duvet. Je ne dors pas très bien car le sol est dur et mon tapis trop fin. Je me réveille aux aurores et remballe mes affaires.
Aujourd’hui, c’est la journée des lacs. Le lac Noir, puis le lac Blanc (bien qu’à cause des fortes précipitations cette année, la partie blanche n’apparaisse pas du tout). C’est très beau, mais fatigant de descendre jusqu’aux lacs avant de remonter. Mes genoux commencent à souffrir dans les pentes raides où je dois constamment me freiner. Je fais étape dans une auberge-restaurant au Valtin où j’arrive tellement tôt que je me permets une sieste réparatrice. L’après-midi, je me promène paisiblement dans le village, je me sens légère sans mon sac à dos. Pour le dîner, c’est menu unique et l’on me sert de la langue en entrée. Un peu déconfite, je goûte tout de même et c’est la révélation. Je trouve ça absolument délicieux ! Repue, je dors profondément et suis en pleine forme pour attaquer la dernière étape qui doit m’emmener à Gérardmer et à mon hôtel. J’ai hâte. J’avale les kilomètres restants en quelques heures à peine. Je fais une halte pour admirer le saut des cuves, une petite chute d’eau, mais puissante. Il y a beaucoup de monde. Cela me fait toujours bizarre après des heures sans croiser personne. Je profite de la ville pour déjeuner dans un restaurant et m’acheter une paire de chaussures peu chères. Je ne me vois pas porter mes chaussures de randonnée avec la robe que j’avais apportée pour le dernier jour de mon voyage. Une fois mes emplettes effectuées, je reprends ma marche pour parcourir les 3 kilomètres qui me séparent de mon hôtel. Une fois de plus, ça grimpe, mais je suis motivée car je suis au bout de mon périple. Je dois tout de même faire un détour pour éviter un chien en liberté que j’aperçois au loin. Courageuse, mais pas téméraire. J’ai déjà eu de mauvaises expériences par le passé et même si j’adore les chiens, je me méfie toujours un peu. J’arrive sans autre encombre dans mon bel hôtel. Je ne suis pas déçue et je profite de la piscine pour me délasser, puis lire sur la terrasse. Un dîner gastronomique achève de me requinquer et je vais m’allonger le ventre plein et le cœur léger. Je suis à la fois contente et triste, comme à chaque fin de randonnée. Mon corps a besoin d’un peu de repos, mais mon esprit en redemande. Je m’endors doucement en pensant déjà à ma prochaine destination.
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